L'ambivalence du clash dans le rap : Ego, marketing et culture.
Le clash, ou confrontation verbale entre rappeurs, est un pilier historique du rap, hérité du battle freestyle et des duels de MCs. Si certains clashs relèvent d'une réelle rivalité artistique ou personnelle, d'autres semblent savamment orchestrés pour capter l'attention médiatique. En France, le clash Booba – Kaaris en est sans doute l’exemple le plus emblématique. Alors, le clash est-il avant tout un jeu d'ego, une manière d'imposer sa suprématie ? Ou bien une stratégie marketing redoutablement efficace pour booster sa visibilité ?
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Une tradition ancrée dans la culture hip-hop
Le clash fait partie de l’ADN du rap. Aux États-Unis, les confrontations mythiques comme Nas vs. Jay-Z ou 2Pac vs. Notorious B.I.G. ont marqué l’histoire du genre. En France, la culture du battle s’est développée dans les années 90 et 2000, avec des joutes verbales devenues cultes, comme Rohff vs. Booba ou MC Jean Gab’1 vs. tout le monde.
Mais un clash ne se limite pas à des insultes : il s’agit souvent d’un exercice de style où les artistes rivalisent de punchlines, de rimes acérées et de références codées. Cela peut aussi refléter des désaccords profonds sur l’industrie, l’authenticité, les choix artistiques, ou les valeurs.
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Le clash Booba vs. Kaaris : au-delà du rap
Le clash entre Booba et Kaaris est sans doute le plus marquant de la scène francophone de ces dernières années. Tout commence en 2013, après leur collaboration sur le titre Kalash. À l’époque, Kaaris est soutenu par Booba, qui l’intègre dans sa structure 92i.
Mais rapidement, les relations se tendent. Kaaris prend son indépendance artistique, ce que Booba voit comme une trahison. Le conflit s’installe par morceaux interposés (ELD, Blow, Tchoin, Gotham, etc.) et des messages sur les réseaux sociaux.
Le point culminant a lieu le 1er août 2018, à l’aéroport d’Orly, lorsqu’une violente bagarre éclate entre les deux rappeurs et leurs entourages. Une scène captée par les caméras de surveillance, largement diffusée sur les réseaux et dans les médias généralistes. Résultat : plusieurs jours de garde à vue, un procès, et des condamnations avec sursis.
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Clash ou coup de com' ?
Au-delà du conflit personnel, ce clash a aussi eu un impact économique et médiatique :
- Les morceaux de Booba et Kaaris ont explosé en streaming après l’incident.
- Les deux rappeurs ont maintenu le buzz pendant plusieurs années, en multipliant les piques sur Instagram.
- En 2020, Booba propose même à Kaaris un combat de MMA, avec un contrat signé, des négociations publiques... et finalement, une annulation.
Cela soulève une vraie question : jusqu’où les artistes utilisent-ils les clashs pour faire parler d’eux ?
L’expert musical Mehdi Maïzi, dans ses interviews, évoque souvent ce double niveau : "Un clash peut être à la fois sincère et utile pour le business. Ce n’est pas incompatible dans le rap."
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Un outil marketing redoutable…
À l’ère des réseaux sociaux, le clash devient un levier promotionnel puissant. Il alimente les conversations, les memes, les vidéos YouTube, les analyses. Certains clashs peuvent même booster la sortie d’un album, d’un single ou d’un clip, en générant du trafic avant la sortie officielle.
Le clash est aussi un outil pour affirmer son identité, son style, ses valeurs face à une autre figure du rap. Il crée de la polarisation (Booba vs. Rohff, Kaaris vs. Damso, etc.), ce qui renforce l’engagement des fans.
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Mais à quel prix ?
Cependant, les clashs ne sont pas sans risque. Ils peuvent :
- Dégénérer en violences physiques (comme à Orly).
- Détourner l’attention de la musique au profit de la polémique.
- Diviser le public, voire créer des tensions entre quartiers ou fans.
Des rappeurs comme Nekfeu, Vald ou Lomepal ont délibérément choisi de rester à l’écart des clashs, préférant l’introspection ou la dérision à la confrontation. D'autres, comme Damso, ont répondu par la subtilité ou le silence, renforçant une forme d’aura mystérieuse.
En conclusion : un jeu d’équilibriste
Le clash dans le rap peut être une arme artistique, une stratégie marketing, ou une guerre d’ego — parfois les trois à la fois. Il fait partie du folklore du genre, mais demande une maîtrise des codes, une lucidité stratégique, et souvent… une grosse dose de calcul.
Ceux qui l’utilisent avec finesse peuvent transformer un conflit en carrière. Ceux qui s’y perdent peuvent en sortir discrédités… ou même condamnés.