Le rap, longtemps marginalisé et stigmatisé, s’invite de plus en plus dans les salles de classe. Ateliers d’écriture, analyses de textes, projets d'expression orale... Les initiatives fleurissent un peu partout en France. Mais cette démarche soulève autant d’enthousiasme que de scepticisme. Le rap peut-il réellement devenir un outil pédagogique ? Ou s’agit-il d’une lubie passagère, trop éloignée des exigences scolaires ?
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Un langage familier aux élèves
Le rap est aujourd’hui le genre musical le plus écouté par les jeunes, en France comme ailleurs. Selon une étude du CNM en 2022, les moins de 25 ans citent le rap comme leur style musical préféré à plus de 60%. Cet engouement massif en fait un point d’ancrage naturel pour les enseignants souhaitant capter l’attention de leurs élèves.
Certains professeurs s’appuient ainsi sur des textes de rap pour introduire la poésie, la figure de style ou l’analyse de message. Les comparaisons entre Booba et Baudelaire, Oxmo Puccino et Prévert, ne sont plus rares. Le rap devient alors un pont entre culture populaire et culture scolaire, une manière de « décrisper » l’apprentissage du français.
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Des ateliers d’écriture pour libérer la parole
De nombreux établissements ont mis en place des ateliers de rap ou de slam dans le cadre d’EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires), de projets de remédiation ou de dispositifs type “réussite éducative”.
Des structures comme L’atelier Slam ou l’association “La Sphère” organisent ces séances dans les collèges, souvent avec la participation de rappeurs locaux. Les élèves y apprennent à écrire des textes, à jouer avec les mots, à développer leur expression orale. Dans des zones où l’école est parfois perçue comme distante, ces projets revalorisent les jeunes et leur offrent une autre forme de légitimité.
Le ministère de l’Éducation nationale lui-même a soutenu plusieurs de ces initiatives, notamment dans le cadre du plan "Enfance et Musique" ou via des financements d'éducation artistique et culturelle.
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Une démarche pédagogique… à encadrer
Cependant, l’utilisation du rap à l’école ne fait pas l’unanimité. Plusieurs enseignants soulignent les risques d’une récupération superficielle ou déconnectée de la réalité pédagogique.
Les textes de rap ne sont pas tous exploitables : certains comportent des propos violents, sexistes, ou provocateurs. Il faut donc sélectionner les morceaux avec soin, les contextualiser, et ne pas les mettre au même niveau qu’un texte littéraire sans analyse approfondie.
De plus, tous les enseignants ne sont pas à l’aise avec cette culture, parfois perçue comme étrangère ou trop codifiée. Sans formation ou accompagnement, le risque est de caricaturer ou de “surjouer la coolitude”, ce qui peut se retourner contre l’objectif initial.
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Fantasme ou potentiel réel ?
Le débat est donc ouvert. Pour certains, intégrer le rap à l’école, c’est céder à une mode, au risque de diluer les exigences éducatives. Pour d’autres, c’est reconnaître la richesse linguistique, culturelle et créative d’un art majeur du XXIe siècle, et l’utiliser pour stimuler l’apprentissage, en particulier auprès des élèves les plus éloignés des normes scolaires.
Ce qui est certain, c’est que le rap révèle des compétences : écrire, s’exprimer, structurer une pensée, manier l’ironie ou la rime. Des compétences précieuses, dans et hors de l’école.
Le rap à l’école n’est ni une solution miracle, ni un gadget sans fond. C’est un outil pédagogique parmi d’autres, à manier avec rigueur et sensibilité. Lorsqu’il est bien intégré, dans une démarche sérieuse et encadrée, il peut devenir un levier puissant d’engagement, d’expression et de transmission.
Alors non, ce n’est pas un fantasme. Mais ce n’est pas non plus une recette magique. C’est une opportunité – à condition de la traiter comme telle.